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Vie privée : une messagerie instantanée qui n’est pas professionnelle est forcément personnelle

Publié le 13/11/2019

L’émergence des nouvelles technologies oblige régulièrement la Cour de cassation à adapter ou préciser sa jurisprudence. Dans l'arrêt commenté, il est certes question de l’application MSN disparue depuis, mais la solution retenue reste d'actualité pour les messageries instantanées modernes. Il s'agissait ici de répondre à la question de savoir si un employeur peut fonder un licenciement après avoir pris connaissance, sans accord du salarié, des échanges issus d’une messagerie instantanée personnelle accessible ou installée sur un ordinateur professionnel. Cass. soc. 23.10.19. n° 17-28448.

 

  • PICTO TIC-OrangeRésumé des faits

Wizz (1)… Ce n’est pas ce genre de notification « amicale » que reçoit Mme P. le 1er août 2006 mais bien un courrier papier lui notifiant son licenciement pour faute grave.

Alors qu’elle était en arrêt maladie, l’employeur a eu besoin d’accéder à son ordinateur professionnel afin de réaliser une tâche qu’il avait prévu de lui confier. La salariée lui donne le code de l’ordinateur et lui précise qu’il y a des données personnelles. Jusque-là tout va bien. Mais l’employeur en profite pour accéder à la messagerie instantanée « MSN » et découvre des échanges laissant apparaître un vol de documents. La salariée est alors mise à pied à titre conservatoire puis licenciée pour faute grave.

Elle saisit le conseil de prud'hommes pour contester le bien-fondé de son licenciement et obtient gain de cause devant la Cour d'appel. Celle-ci condamne l’employeur à diverses indemnités pour licenciement abusif pour non-respect du secret des correspondances. 

  • Messagerie instantanée et boîte mail : un régime distinct ?

L’employeur se pourvoit en cassation aux motifs que :

-       les courriers ou messages adressés par la salariée à l’aide de l’outil informatique mis à disposition par l’employeur pour les besoins du travail sont présumés avoir un caractère professionnel. En conséquence l’employeur peut y accéder hors la présence de l’intéressé sauf si la salariée les a identifiés comme personnels ;

-       la présence d’éléments personnels dans cette messagerie ne fait pas tomber la présomption de caractère professionnel. Or, le raisonnement de la Cour d’appel revient à opérer un renversement de la charge de la preuve.  

La Cour de cassation, pour débouter l’employeur, ne s’embarrasse pas de détails :

« Les messages électroniques échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boite à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle (…) ils étaient couverts par le secret des correspondances. »

Ainsi la Haute Cour reprend une solution traditionnelle, peu important l’évolution technologique (2). En effet dans la mesure où seule la boite mail était nécessaire pour les besoins de son activité, la messagerie instantanée ne pouvait être que personnelle.  Elle était donc protégée au titre du droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances quand bien même elle serait utilisable à partir de l’ordinateur professionnel. La solution aurait évidemment été différente s’agissant d’une messagerie instantanée pour les besoins de l’activité professionnelle.

Le raisonnement de la Cour d’appel est également à souligner. Pour elle, « à l’évidence un tel compte de messagerie (MSN) est personnel et distinct de la messagerie professionnelle sans qu’il soit besoin d’une mention "personnel" ou encore "conversation personnelle".

L'employeur n'est pas bloqué par le refus du salarié de donner son accord pour ouvrir un message ou un fichier identifié comme personnel. Le secret des correspondances lui impose une décision de justice autorisant la consulation des documents "suspects". 

Aujourd’hui, Messenger nous semble pouvoir bénéficier de la même règle protectrice. La question peut se poser pour WhatsApp qui ne s’appuie pas sur un compte email mais sur un numéro de téléphone. Toutefois, la jurisprudence étant similaire pour le téléphone professionnel il nous semble que le secret des correspondances aurait aussi vocation à être protégé même si le compte utilise le numéro professionnel.


(1) Pour les plus jeunes, et les plus vieux, il s’agissait d’un « tremblement » de la fenêtre de conversation MSN afin d’attirer l’attention de son interlocuteur…

(2) Cass.soc.26.06.12, n°11-15310.