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Liquidation judiciaire et portabilité : coup d’arrêt pour les droits des salariés ?

Publié le 06/03/2024

La saga jurisprudentielle continue ! Dans un arrêt du 15 février 2024, la Cour de cassation précise à nouveau les conditions du bénéfice de la portabilité par les anciens salariés licenciés dans un contexte de liquidation judiciaire. Malheureusement, ce coup-ci, elle tempère sa jurisprudence jusqu’à présent tournée en faveur du maintien des droits des salariés.

La Cour avait déjà jugé que ce dispositif impliquait l’absence de résiliation du contrat ou de l'adhésion liant l'employeur à l'organisme assureur. Mais les conditions de cette résiliation demeuraient incertaines. Nous savons désormais que celle-ci met un terme au maintien des garanties, peu important qu'elle intervienne après le licenciement des salariés concernés. Cass.2eciv.15.02.24, n°22-16.132.

 Rappel des décisions précédentes et des enjeux 

La loi prévoit le maintien sans délai des garanties collectives de complémentaire santé et prévoyance pour les salariés dont le contrat est rompu (hors licenciement pour faute lourde) ou arrivé à son terme, à condition que la rupture ou la fin de contrat ouvre droit à une prise en charge par l’Assurance chômage. Les garanties sont  maintenues pendant une durée égale à la période d’indemnisation du chômage, dans la limite de la durée du dernier contrat de travail (ou des derniers contrats de travail lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur), sans pouvoir excéder 12 mois (1). La durée est appréciée en mois (par exemple 3 semaines dans l’entreprise donnent droit à 1 mois de portabilité).

Dans des avis rendus en 2017 (2), la Cour de cassation avait pris position en faveur d’une portabilité des droits collectifs de protection sociale complémentaire en cas de liquidation judiciaire. Elle constatait en effet que la loi n’opère aucune distinction entre les salariés des entreprises in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire(2), et en concluait que la portabilité devait s’appliquer à ces salariés.

Toutefois, dès 2017, la Cour affirmait que ce maintien des droits implique nécessairement que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié.

Dans un arrêt du 5 novembre 2020 (3), la Haute Cour a adopté la même position, en précisant en l’occurrence que pour l’application de la portabilité, la loi ne prévoit aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance.

La CFDT n’avait pas manqué de saluer l’interprétation inédite de la deuxième chambre civile qui sécurisait le bénéfice de ces couvertures au moment de la perte d’un emploi. Cependant, plusieurs questions étaient laissées en suspens, et notamment celle de savoir dans quelles conditions il pouvait être mit fin au contrat d’assurance dans un contexte de liquidation. Certaines décisions de tribunaux ou cours d’appel étaient encourageantes, puisqu’elles jugeaient que la résiliation était sans effet et qu’elle ne pouvait empêcher la portabilité si elle intervenait après les licenciements des salariés (4). Mais d’autres tribunaux retenaient des positions inverses. Il revenait donc à la Haute juridiction de trancher. Revenons à notre affaire.

Liquidation judiciaire et résiliation du contrat d’assurance

Dans cette affaire, une société, qui avait souscrit un contrat collectif d’assurance complémentaire santé au bénéfice de ses salariés, a été placée en liquidation judiciaire. La cessation définitive d'activité était prononcée par jugement du 2 avril 2019. À la suite de cela, les salariés ont été licenciés pour motif économique, avec une fin de préavis en août 2019 pour les derniers d'entre eux et un mandataire liquidateur a été désigné.

Le 24 octobre 2019, l'assureur du régime santé et prévoyance de l'entreprise a résilié le contrat à son échéance annuelle, avec effet au 31 décembre 2019.

L’organisme assureur a la faculté de rompre le contrat d’assurance tous les ans, à la date d’anniversaire du contrat (5). Celle-ci doit être notifiée au moins 2 mois avant l’échéance du contrat. Il en va de même pour l’assuré, en l’occurrence la société.

Les anciens salariés se sont ainsi retrouvés sans garanties dès le 1er janvier 2020. Face à cette situation, le liquidateur a fait souscrire aux salariés concernés des contrats frais de santé individuels dont il a assuré le financement. Il a ensuite assigné en justice l'assureur aux fins de le voir condamner à assurer le maintien des garanties et d'obtenir le remboursement des sommes au titre des contrats individuels souscrits.

Et les juges du fond on fait droit à sa demande. Ils ont en effet considéré que l’assureur concevait comme le prévoit la loi, la possibilité de résilier le contrat d’assurance à l’échéance annuelle, mais que cette résiliation « n’affectait pas les garanties en vigueur, au jour de leur licenciement, des anciens salariés ». En d’autres termes, pour la cour d’appel, la résiliation du contrat d’assurance était certes possible après licenciement mais n’avait aucun effet sur la portabilité des droits des salariés licenciés.

La résiliation du contrat met fin à la portabilité

La Cour de cassation censure cette interprétation. Elle rappelle d’abord sa position connue de longue date : les dispositions relatives à la portabilité sont d’ordre public et sont donc applicables en cas de liquidation judiciaire, mais à la condition que le contrat d’assurance qui lie l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. Elle affirme toutefois pour la première fois que cette résiliation met un terme au maintien des garanties au bénéfice des anciens salariés, et ce, peu important qu'elle intervienne après le licenciement des salariés concernés !

C’est désormais clair : la résiliation du contrat d’assurance peut intervenir après le licenciement des salariés et emporte la fin de leurs droits à la protection sociale complémentaire.

Cette position est décevante. Il en résulte en effet que la portabilité des garanties est potentiellement limitée à la durée restante entre l’ouverture de la liquidation et la date anniversaire du contrat d’assurance, ce qui en fonction des contextes peut être plus ou moins court. Dans le cas d'espèce par exemple, elle a pu durer 4 mois seulement. 

Par cette décision, la Haute juridiction se prononce pour la première fois, dans le sens de la perte des droits à portabilité en cas de liquidation judiciaire. La CFDT le déplore et continuera d’œuvrer pour une pleine sécurisation des droits collectifs des salariés dans ce contexte. Les solutions sont nombreuses, c’est donc plus que jamais le moment de les pousser !


(1) Art. L.911-8 CSS.

(2)  Cass.avis, 06.11.17, n° 17015.

(3) Cass.2eciv. 05.11.20, n° 19-17.164.

(4) Tribunal de commerce de Lille, 02.02.23 ; CA Paris, 22.02.22, n°20/09755 (arrêt cassé).

(5) Art. L.932-12 et R.932-1-6 CSS ; art. L.113-12 et 145-8 C.assur. ; art. L.122-10 C.mut.

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